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JO 2024 : témoignages de maréchaux

Que ce soit une première ou non, trois maréchaux nous partagent leur expérience concernant les Jeux Olympiques de Paris.

Je vous invite à partir à la rencontre de Quentin, Éric et Kévin.

Quentin MATHIEU, sa contribution pour le dressage français

Quentin (à gauche), 34 ans, maréchal de Gotilas du Feuillard engagé sur les épreuves de dressage avec Corentin POTTIER.

Une formation maréchalerie complète

C’est fraîchement majeur que Quentin a débuté sa formation par un CAPA sur 3 ans au CMA de Beauvais. Il a poursuivi avec le Brevet Technique des métiers.

Après avoir occupé un poste d’ouvrier pendant trois ans, il s’est associé avec son patron Jean-Michel COLLANGE en 2018. Leur entreprise est située à côté de Coulommiers en Seine-et-Marne. Leur équipe est complétée par un ouvrier et une apprentie. Un second contrat d’apprentissage viendra grossir les rangs à la rentrée.

Quentin a très vite pris goût aux concours de maréchalerie qui lui ont permis de perfectionner ses gestes et affuter son goût du travail bien fait. En 2015, nous pouvions d’ailleurs le compter parmi les membres de notre équipe de France apprentis à Stoneleigh.

Bien qu’il fasse actuellement une pause avec la compétition par manque de temps, il reprendra dès que possible. Peut-être réorganisera t-il un concours comme il l’a fait il y a deux ans ?

Ferrer des chevaux de haut niveau

Les associés se répartissent la clientèle. La gestion des chevaux de sports est plutôt confiée à Quentin.

Par bouche à oreille, Quentin a progressivement élargi ses collaborations avec des cavaliers qui évoluent à haut niveau. Il travaille depuis 6 ans avec des écuries de dressage et depuis 5 ans dans l’endurance.

Pour lui, le travail de qualité repose sur beaucoup de remise en question de sa pratique notamment sur le parage et la tournure du fer. Le travail d’équipe avec le vétérinaire et le cavalier fait également parti du combo gagnant pour accompagner le cheval dans ses performances.

Quentin apprécie travailler avec ces athlètes. « Ce sont des chevaux qui sont bien dans leur tête », la prise en charge est pensée globalement et les structures sont de qualité : le tout donne des conditions de travail et d’évolution optimum.

L’enjeu du ferrage pour les chevaux de dressage repose principalement sur la qualité des allures : il faut qu’elles soient la plus naturelles et la plus rasantes possible. En s’adaptant évidemment aux particularités de chaque chevaux, Quentin est amené à aborder ce travail sous différents angles en allant du pieds nus jusqu’ aux plaques sous les quatre pieds. Il n’utilise que très peu de silicone pour cette discipline.

Gotilas quant à lui, bénéficie d’un suivi de ferrure toutes les quatre semaines. Il porte des alus plaqués avec oignons devant qui lui apportent confort, légèreté et permet de corriger une légère asymétrie de pied et soulager une pointe d’arthrose dans les boulets. Il est ferré avec deux aciers classiques aux postérieurs.

Cheval, cavalier et maréchal : leurs premiers Jeux Olympiques

Quentin suit Gotilas depuis 4 ans, un cheval de 13 ans qui ne fait que progresser.

Le couple cavalier-cheval, surnommé « Coco et Gus » ne cesse de monter en performance. Vainqueurs de la coupe des nations avec l’équipe de France en 2023, le duo a également brillé à Rotterdam en juin dernier établissant un nouveau record personnel et s’imposant en meilleure performance française. Sélectionnés pour Paris 2024, cette première expérience olympique ne sera sans doute pas leur dernière.

Quentin et le vétérinaire collaborent efficacement autour de la locomotion du champion, toutefois ce ne sont pas les seuls… Le staff de l’équipe de France suit Gotilas depuis 3 ans et lui font faire des check-up complets régulièrement.

Quentin ne peut pas suivre le cheval sur les compétitions, en particulier pour celle-ci dont le protocole d’accréditation est assez fastidieux. Le relais est toutefois pris par le maréchal-ferrant officiel de l’équipe de France. Les deux maréchaux ne sont que très peu en contact ce que Quentin trouve dommage.

En fait, il y a effectivement plus d’attention et de disponibilité qui se mettent naturellement en place avec une compétition mondiale comme celle-ci mais « ce n’est pas de la mauvaise pression ». En travaillant consciencieusement et en confiance mutuelle avec l’équipe qui entoure le cheval, on trouve rapidement ce qui rend l’animal confortable. À l’aube des jeux olympiques, on ne réinvente pas la ferrure. Il faut se contenter de faire correctement ce que l’on fait déjà depuis des mois et qui fonctionne.

Les performances de son client ont apportés quelques contacts à Quentin qui ne souhaite néanmoins pas élargir sa clientèle pour le moment.

Éric DEVILLE, un belge aux côtés des Luxembourgeois

Maréchal depuis plus de 15 ans, Éric nous partage son expérience pour cette deuxième participation olympique.

Pratique de la maréchalerie : entre Belgique et Luxembourg

Cavalier depuis l’âge de 6 ans, c’est en 2006 qu’Éric est entré en apprentissage maréchalerie à Namur.

En 2009 il créé son entreprise et continue de se former (équivalent au BTM) aux côtés de Philippe Vanschepdael avec qui il collabore toujours lorsque cela est nécessaire.

C’est en 2011 qu’il forme à son tour son premier stagiaire et accompagnera plus de 6 jeunes dans l’apprentissage du métier.

Implanté dans le sud de la Belgique, il a orienté sa société au Luxembourg il y a 3 ans afin de bénéficier d’une fiscalité plus avantageuse et une meilleure reconnaissance du métier.

Éric emploie aujourd’hui deux maréchaux à temps partiel et un sous-traitant. Il aimerait accueillir un apprenant mais les candidatures se font rares. Leur clientèle est principalement composée d’écuries de sport et loisir, peu de particuliers.

Amoureux des chevaux, il partage cette passion avec sa conjointe notamment autour de leur petit élevage familial.

Apprendre et partager, c’est sans doute ça la clé

Qu’ils tournent en championnat nationaux, d’Europe ou du Monde, les athlètes ont pris part peu à peu dans sa clientèle via le bouche à oreille.

Bien qu’il accompagne de nombreux cavaliers de haut niveau, les activités compétitives de chacun ne sont pas au cœur des priorités d’Éric.

Pour Éric, les qualités indispensables pour fournir un travail de qualité et garder la confiance de cette clientèle exigeante sont : la compétence, la rigueur, la capacité d’adaptation – d’échanges et la disponibilité.

« Moins t’es formé, plus t’es convaincu ». Il est important de maîtriser les fondamentaux comme l’observation du cheval et le fonctionnement biomécanique. Il faut se former continuellement, rester à l’écoute de ce qui se passe et échanger avec les collègues. Éric considère que le plus important est le parage et ne pas négliger les postérieurs. Pour vulgariser sa vision d’un maréchal compétent, c’est de « faire simple et que ça fonctionne« .

Pour objectiver son travail à chacune de ses interventions, Éric a pour habitude de prendre des mesures et des photos des pieds. Il utilise quotidiennement un compas pour mesurer les longueur de pince et contrôler les angles.

Du même avis que Quentin, Éric met également un point d’honneur sur la communication avec l’équipe qui gravite autour du cheval. Lorsqu’une approche est différente de celle du véto par exemple, il ne faut pas craindre d’argumenter pour défendre son idée sans pour autant bloquer dessus. Cela même lorsqu’il s’agit d’un cheval de loisir qui ne bénéficie pas de tout un staff pour accompagner ses performances. C’est avec ses échanges constructifs et dans l’intérêt du cheval que la confiance mutuelle s’installe.

Vient enfin la disponibilité. Pour accompagner au mieux les chevaux de haut-niveau, tout est mis en œuvre pour qu’ils soient toujours au top. Le maréchal doit donc se montrer réactif pour assurer les interventions imprévues et s’organiser autour des dates de concours des chevaux au dépend parfois de sa vie familiale ou de la rentabilité (frais de déplacements). Pour Éric c’est l’aspect le plus difficile car cette exigence vis à vis des maréchaux s’est largement démocratisée et est quasiment devenue la norme auprès des propriétaires.

Éric a déjà eu quelques petits soucis avec ces athlètes à 4 pieds : un abcès à l’antérieur, une irrégularité suite à un silicone un peu trop dur, un fer arraché en sortant du camion au CSI, une petite seime de surcharge… Mais rien de « grave » l’ayant amené à penser prendre une assurance spéciale pour le suivi de ces chevaux.

Ses deuxième JO avec Quarter Back Junior et Nicolas Wagner Ehlinger

Quarter Back Junior est un hongre de 15 ans engagé sur des épreuves de dressage. Éric l’a récupéré en clientèle en 2021, quelques mois avant sa participation au JO de Tokyo. Nicolas, son cavalier, est le seul luxembourgeois sélectionné en dressage pour Paris 2024. Le niveau monte actuellement au Luxembourg, il est fort à parier qu’une équipe puisse se monter pour Los Angeles.

Le cheval a des pieds assez bien conformés, légèrement inégaux (pied noir/pied blanc) avec des angles plutôt faibles et présentant un léger varus aux postérieurs.

Aux antérieurs, Éric lui met des DF quarter motion + avec rolling, des plaques et du silicone mou pour répartir les charges. Pour préserver ses grassets et aider à la flexion des postérieurs, il fait également un léger relevé de pince aux DF grand prix qu’il utilise pour les postérieurs.

Le cheval a été ferré 4 semaines avant de prendre la route de Versailles.

En dressage, il est généralement attendu des maréchaux un parage assez long en pince et la pose de fers plutôt lourd afin de gagner en amplitude. Toutefois Éric n’est pas favorable à cette méthode notamment dans cette discipline où les carrières des chevaux sont assez longues.

À l’approche des jeux olympiques de Paris, Éric n’était pas vraiment stressé. Ce qui n’était pas du tout le cas pour Tokyo où il n’avait que 2-3 ferrages avant la compétition pour connaître le cheval et évaluer avec l’équipe ce qui lui convient.

Bien qu’il soit plutôt confiant pour ces jeux, Éric garde en tête que rien n’est jamais acquis. De nombreux facteurs peuvent venir perturber l’équilibre qui convient actuellement au cheval.

Comme Quentin, Éric ne pourra pas suivre son champion dans les coulisses de Versailles. Il est très déçu de passer à côté de cette opportunité unique.

Éric ne communique pas spécialement autour des résultats de ses clients toutefois le bouche à oreille dans les écuries fait son chemin. Cela lui accorde de la notoriété et de la crédibilité mais il ne s’en sert pas pour élargir sa clientèle.

Il y a tellement de critères qui rentrent en jeu qui ne sont pas forcément considérés, cela donne des effets de mode parfois injustes.

Ce n’est pas parce qu’un cheval foire une compétition qu’il faut « black lister » son maréchal et à contrario, un cheval peut être bien dans ses pompes sans sortir de résultats. C’est dommage de ne se pencher sur la question qu’en fonction des classements.

Kévin BOUDAN VIVIER, quand tout ne se passe pas comme prévu

Kévin est le maréchal de Moon, engagé en complet sous les couleurs de la Belgique. Blessé à l’entraînement, le cheval n’a finalement pas foulé les jardins de Versailles.

Une jeune entreprise prometteuse

C’est en 2010 que Kévin a commencé sa formation de maréchal-ferrant. Par 5 ans d’apprentissage, il a obtenu le CAPA puis le BTM.

En 2016 il intègre la Garde Républicaine au sein de la forge des Celestins. Il n’y restera que quelques mois, la vie citadine ne convenant pas à son équilibre personnel.

Après être retourné chez son patron de BTM pour occuper une place de salarié, Kévin à créé son entreprise en 2018.

Il s’est installé en Charente et exerce également dans les départements limitrophes. Sa clientèle s’est peu à peu orientée vers des chevaux de sport (complet, CSO et un peu d’attelage). Il a embauché pour pouvoir assumer un suivi correct des chevaux, notamment des particuliers qui ont été les premiers à lui faire confiance.

La possibilité de faire tourner deux équipes leur permet de prendre quelques congés en pleine saison et fermer boutique pour la période des fêtes de fin d’année. Seul Kévin est amené à passer sous les chevaux le week-end et ce, de manière exceptionnelle.

Depuis maintenant 3 ans, Kévin intervient ponctuellement en renfort sur la formation pratique des jeunes maréchaux au lycée des Vaseix.

Les chevaux de sport

Les chevaux de haut niveau représentent 20% de sa clientèle. Il est « tombé dans la marmite » avec son ancien patron et a naturellement développer sa clientèle dans ce sens.

Kévin pratique une maréchalerie très simple. L’orthopédie c’est vraiment pour les pathologies « je ne cherche pas à inventer des trucs ». D’ailleurs, seul 1% des chevaux ferrés de sa clientèle porte autre chose que des fers classiques. Il travail principalement les bras de levier en apportant de beaux rolling.

Pour lui, les qualités indispensables qui sont nécessaires pour accompagner au mieux ce type de chevaux sont : la transparence, la régularité, la communication et la flexibilité.

« On rentre vraiment dans une équipe ». Les chevaux ont tout un staff qui gravit autour d’eux et c’est primordial d’avoir des échanges avec tout le monde. Pour ça, il ne faut pas rester buté sur son propre avis et être en mesure d’entendre des propositions divergentes. Le tout en étant capable d’adapter les préconisations au quotidien réel et les particularités du cheval.

Presque tous les chevaux de haut niveau qu’accompagne Kévin vivent exclusivement au pré. Bien que ce soient des conditions de vie optimum pour les équidés, cela apporte quelques complication de gestion concernant la maréchalerie.

En effet les chevaux de sport, notamment lorsqu’ils sautent, ont besoin de confort et donc de garniture. Les chevaux se déferrent régulièrement. En extérieur, les sabots sont également plus sensibles à la météo et l’état des sols. Avec l’hiver très humide de l’an passé, la gestion des pieds a été plus complexe que ceux des chevaux en box par exemple.

Kévin a dû adapter son assurance. Après vérification auprès de sa compagnie suite au ferrage d’un cheval ayant participé aux JO de Tokyo, il s’est rendu compte que sa responsabilité civile professionnelle ne couvrait pas la valeur de l’athlète. Maréchaux, pensez à vérifier ces petites lignes de vos contrats afin de ne pas vous retrouver dans une situation délicate !

La déception aux portes de Versailles

Cyril Gavrilovic a fait appel à Kévin lorsqu’il est arrivé dans la région il y a une petite année.

Le cavalier était engagé avec Moon dans l’équipe de Belgique pour les épreuves de complet.

Le cheval est ferré avec 4 aciers en 22×8, beaucoup de rolling et des plaques No Shock pour apporter un peu de confort aux antérieurs. Comme on peut le voir sur la photo plus haut, on retrouve trois mortaises sur les postérieurs. Ce n’est pas une pratique commune pour Kévin qui a placée la troisième à la demande de l’entraîneur de l’équipe de Belgique.

Le ferrage pour les jeux a été réalisé 15 jours avant le début des épreuves. Le parage a été le moins invasif possible, notamment dans le parage de la sole. Habituellement broché à 6 clous devant et 5 derrière, un clou supplémentaire à été ajouté par pied afin d’assurer plus de sécurité.

Néanmoins, la dernière semaine d’entraînement avant de monter à Paris, Moon a fait une mauvaise réception à un saut.

L’aventure Jeux Olympiques s’est arrêté ici pour lui.

Le cheval reprendra potentiellement l’entraînement début 2025. Toutefois c’est avec une autre jument que le cavalier se prépare dorénavant pour les prochains jeux à Los Angeles.

Kévin avait à cœur de vivre cette première expérience JO avec passion même si cela demandait quelques sacrifices.

En aucun cas il voulait que la prise en charge de ce cheval ait un impact sur le reste de sa clientèle. C’est en dehors de ses horaires de travail habituels qu’il intervenait auprès de Moon lorsqu’un imprévu se présentait. Comme Éric, Kévin souligne qu’il s’agit surtout de la vie personnelle qui se retrouve impactée dans ce genre d’expérience.

Bien qu’il ait ce sentiment de « pas le droit à l’erreur », Kévin a tout fait pour ne pas se mettre trop la pression car « c’est là que l’on fait des erreurs ».

Économiquement pour son entreprise, cette expérience n’a pas réellement eu d’impact. Que ce soit en apport de clientèle ou dans la facturation des interventions. Le « SAV » de ce cheval demandant une grande réactivité, les déplacements se font généralement uniquement pour lui et engendre des frais.


Il y a trois grands points qui sont ressortis lors de mes échanges avec Quentin, Éric, Kévin et si je devais vous proposer une conclusion ce serait celle-ci :

  • Il n’est pas nécessaire d’être un grand nom de la maréchalerie pour être amené à passer sous ces chevaux athlètes et acquérir la confiance des équipes qui accompagnent les champions.
  • La simplicité est le secret de l’efficacité : un bon parage et une tournure adéquat fait 99.9% du job.
  • St Eloi vous l’expliquerait mieux que moi, il faut rester humble. Pour être ouvert au dialogue avec les équipes, pour ne pas privilégier un cheval par rapport à d’autres et parce que la côte de popularité d’un maréchal peut basculer du jour au lendemain (ou presque).

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Un commentaire

  1. Bonjour,
    J’ai aimé lire ces quelques lignes concernant mes collègues maréchaux, j’apprécie particulièrement le fait qu’ils soient humbles devant la difficulté de notre métier…raisonner simplement sans artifices revenir aux bases est également ma façon de penser,de travailler. Sans oublier de laisser notre intuition nous guider…
    N’oubliez jamais les bases…
    Je regrette par contre le manque d’échange possible avec le maréchal fédéral sûrement dû à un manque de temps en tout cas je l’espère…
    Qui connaît mieux un cheval que celui qui le suit tout au long de l’année?
    Bravo à tous en tout cas pour votre façon d’être j’apprécie vraiment votre attitude bien trop rare dans notre profession…